Le Festival de Cannes battait son plein du 17 au 28 mai 2022 pour sa 75e édition et pourtant le cinéma est au plus mal. Mais quel impact a eu la pandémie dans l’industrie cinématographique ?Â
Le cinéma français en crise
Manque de spectateurs dans les salles, peu d’engouement à l’annonce des sorties de films… le cinéma est en panique et même les paillettes qui s’envolent de la Croisette n’arrivent pas à le cacher ! Cette crise a débuté avec la pandémie et se répand dans les régions du monde.
Aux États-Unis, elle se manifeste par une baisse du nombre de titres proposés sur les grands écrans, qui n’accueillent plus que les « franchises » reposant sur une marque au potentiel commercial reconnu. Les autres productions sont reléguées aux plateformes de vidéo en streaming payantes. En Chine et en Russie, la pression croissante de la censure et la fermeture des frontières limitent grandement le choix des spectateurs.
Toutefois, la France continue de faire exception en proposant toujours un large panel de films à découvrir sur le grand écran (plus de 340 en 2021). Chaque semaine, plus d’une douzaine de nouveaux titres trouvent le chemin des salles. Mais la plupart d’entre eux n’y font qu’un passage éclair, à l’exception de blockbusters tels que Spider-Man ou encore Batman qui occupent pendant plusieurs semaines la tête du box-office

En France, si l’industrie cinématographique espérait une amélioration avec la levée des mesures sanitaires, rien n’y fait. Il manque toujours un quart des spectateurs et tout indique que les absents, en majorité les plus de cinquante ans, participaient au succès des films d’auteur. Leur absence, liée en partie à la découverte du streaming durant la crise sanitaire, fait courir un grand danger à la production française. Le succès en salle d’un film d’auteur n’en faisait déjà pas un investissement rentable, mais il assurait néanmoins la longévité de cette œuvre et la pérennité de la carrière de ses créateurs.
Cette baisse de régime peut pourtant être l’occasion d’une refondation du cinéma français, en rendant l’expérience en salle plus satisfaisante, pour commencer. Mais il faut également que le cinéma d’auteur apprenne à vivre pour d’autres publics que les seniors, en tentant des choses qu’ils n’osaient pas jusqu’à aujourd’hui… Mais cela sera-t-il suffisant ? Car les plus de cinquante ans ne sont pas les seuls à avoir abandonné les salles obscures…
Pourquoi les Français vont-ils moins au cinéma ?
C’est le sujet qui hante tous les acteurs du cinéma à Cannes. Malgré la réouverture des salles de cinéma depuis un an, la fin du port du masque obligatoire en mars dernier et le retour des blockbusters américains, la fréquentation des cinémas français est toujours en baisse. Après les années 2020 et 2021 catastrophiques, l’année 2022 pourrait-elle être celle du renoncement des spectateurs?
Le Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC) a récemment publié une étude selon laquelle « 48% des Français déclarent être revenus moins souvent ou plus du tout au cinéma depuis la réouverture des salles en mai 2021. » Pour la majorité d’entre eux, cela est dû à « une perte d’habitude d’aller au cinéma, qu’ils n’ont pas envie de reprendre ». La question du prix est aussi importante en cette année 2022, marquée par une inflation forte et des problèmes de pouvoir d’achat. Selon l’étude, plus d’une personne sur trois estime que la hausse du prix d’un billet est un frein à la fréquentation des cinémas. Enfin, un quart des Français soulignent « le manque d’intérêt pour les films proposés ». C’est la première fois que le CNC, maison du cinéma français, admet que l’offre de films n’est plus aussi attrayante. La faute au manque de blockbusters américains, mais aussi à un modèle français qui a du mal à se remettre en question et à monter en gamme. Si le CNC constate que les publics moins de 20 ans et les 35-50 ans ont retrouvé en partie le chemin des salles obscures, il déplore la désertion des 25-34 ans dont le recul de fréquentation est de 64 % en 2021.

L’impact toujours présent de la crise sanitaire
De janvier à fin avril 2022, les salles de cinéma en France ont drainé un peu plus de 50 millions d’entrées, soit 34 % de moins que sur la même période en 2021, indique les données du CNC. Depuis la réouverture complète, sur un an, la fréquentation s’établit à environ 153 millions d’entrées, selon Comscore Movies France. Cela représente 74 % de la fréquentation annuelle moyenne en France entre les années 2011 et 2019. Le cinéma aurait donc perdu plus d’un quart de son public  ! Â
« Il y a des spectateurs qu’on n’a pas vus depuis deux ans, car ils craignent d’attraper le Covid », déplore Aurélie Delage, gérante du Mégarama. Une raison suffisante pour augmenter la popularité des concurrents de taille que sont les plateformes de streaming vidéo comme Netflix, Disney+ et Amazon Prime Video. Le nombre d’abonnements a bondi en France depuis le début de la crise sanitaire. Selon le baromètre Médiamétrie-Harris Interactive, environ 20 millions de foyers avaient souscrit aux services de l’une des trois plateformes à la fin 2021. « Notre ennemi, c’est le canapé. Les gens ont pris l’habitude de goûter à des contenus disponibles tout de suite sans sortir de chez soi », poursuit la directrice du Mégarama.Â
« Je ne pense pas que la situation soit catastrophique. Elle l’était quand les salles de cinéma étaient fermées. Aujourd’hui, nous sommes plutôt en convalescence. L’enjeu du cinéma repose sur une diversité de films. Tant qu’on n’aura pas retrouvé cette diversité, il y aura des difficultés structurelles », fait valoir François Clerc, patron du distributeur Apollo Films. Il espère un retour progressif à la normale d’ici 2023. Toutefois, malgré la crise, nous n’avons pas assisté en France à une fermeture massive de salles indépendantes comme aux États-Unis, où le mythique Cinerama Dome de Los Angeles a baissé le rideau.

Autre point positif  : les jeunes sont revenus plus facilement au cinéma que les 60 ans et plus et qu’une partie des 25-59 ans. « Ils font partie de ceux qui ont été les plus désocialisés durant la pandémie et ils avaient le plus envie de retrouver leurs amis », analyse François Clerc. Cependant, une inquiétude persiste chez lui : sans blockbuster français ou américain, les cinémas ne peuvent pas s’en sortir, et les sorties de ce type se font rares.Â
Selon Aurélien Bosc, président de Pathé Cinéma, la salle peut résister en se modernisant. « Notre objectif consiste à améliorer et réinventer l’expérience du cinéma en salle afin d’en faire une véritable sortie, une expérience sociale. Cela passe notamment par la modernisation continue des salles et la mise en Å“uvre de nouvelles offres de restauration », explique-t-il.
Le CNC table sur un retour à environ 175 millions d’entrées pour 2023, le même niveau que l’année 2005, après 96 millions en 2021, 65 millions en 2020 et 213 millions en 2019. « La sortie du film Avatar en 3D à la fin d’année sera un rendez-vous très important pour le marché. Ce sera incontestablement une expérience très différenciante que les Français ne pourront pas avoir chez eux sur leur canapé, et qui ramènera probablement beaucoup de spectateurs en salle », poursuit Aurélien Bosc.