Le web est en mouvement, se déhanche, danse entre les pages et shake les réseaux sociaux ; et de toute cette agitation naissent des tendances qu’Alchimia vous propose d’analyser chaque mois… entre un twist et un jerk donc !
Le Web vers un troisième step
Produit en vogue dans la Silicon Valley, le Web3 va chambouler vos pratiques numériques ! Imaginé en 2014 par le britannique Gavin Wood (cofondateur de la célèbre cryptomonnaie Ethereum), ce modèle novateur du net promet l’émergence d’une toute nouvelle version décentralisée d’Internet basée sur des innovations dernier cri : la blockchain, les cryptomonnaies, l’intelligence artificielle, le cloud, la réalité virtuelle… en bref, tous les termes high-tech que vous avez pu entendre ces dernière années. Mais qu’entend-on concrètement par Web3 ? En suivant une certaine logique, il viendrait succéder aux deux premières phases d’Internet connues jusqu’ici.
Les premiers adeptes d’Internet ont tous connu le Web 1.0, dit « Web statique ». Dès 1990, ils pouvaient alors consulter les pages et passer de contenus réels à des contenus virtuels, comme le fait notamment de consulter la version numérique d’un journal en ligne. Conçu comme un portail d’informations, l’internaute n’avait pas encore de pouvoir d’action sur Internet, la création et la distribution de l’information ne s’opérant que dans un seul sens.
Il faut alors attendre le milieu des années 2000 pour voir émerger une certaine évolution : la naissance du Web 2.0, communément appelé « Web participatif » ou encore « Web social » par rupture avec son prédécesseur. Cette nouvelle phase d’Internet a permis l’apparition des premiers réseaux sociaux et marque un tournant dans la manière d’aborder les relations sociales. Dorénavant, les utilisateurs peuvent interagir ensemble directement via des plateformes de communautés virtuelles tout en créant librement des contenus visibles de tous.
Néanmoins, les promesses du Web2 ont été quelque peu étiolées par l’arrivée des GAFAM et le phénomène de concentration des médias sociaux. Agissant en tant que monopole sur le marché numérique, les géants de la Big Tech doivent faire face à un certain nombre d’enjeux liés au traitement des données de leurs utilisateurs. Le Web devant prôner des valeurs de liberté et d’émancipation, l’échec de cette seconde phase d’Internet s’explique autour de l’emprise des plateformes numériques sur les individus. L’ensemble du réseau Internet s’avère finalement centralisé autour de quelques grands noms de la Tech, ne laissant aux utilisateurs qu’une bien maigre marge de main-œuvre.

« Le Web3, c’est prendre ce que le bitcoin a fait avec la monnaie et l’appliquer à tout »
Telle est la vision schématisée du Web3 de Juan Benet, fondateur de Protocol Labs, un laboratoire de recherche, de développement et de déploiement de logiciels open-source. Avec pour ultime objectif d’atteindre une décentralisation générale du Web, les partisans de cette nouvelle ère d’Internet portent en commun certains enjeux fondamentaux, comme celui de redonner aux utilisateurs le contrôle de leurs données ; et d’attribuer par conséquence un sens à la propriété numérique. En supprimant les intermédiaires dans le partage de données d’un service à un autre, l’internaute devient alors sa propre source de stockage et exploite lui-même les plateformes qu’il utilise.
À l’origine, la blockchain est une technologie qui, sous forme d’une chaîne de blocs, permet à l’utilisateur d’enregistrer l’ensemble de ses transactions de manière décentralisée, sécurisée et transparente. Basés sur ce même principe, les cryptomonnaies et les NFT, pièces numériques uniques ne pouvant être échangées contre un actif de même valeur, ont permis de faire monter encore un peu plus la cote du Web3.
De plus en plus présent dans l’actualité, cet univers virtuel où tout semble désormais possible est en grande partie cristallisé par le terme grec « Méta » – qui signifie « au-delà », ou plutôt celui de « Métavers », concept désignant un tout nouvel univers virtuel, immersif et persistant, dans lequel nos avatars en 3D peuvent se retrouver, jouer, s’habiller mais aussi travailler, créer des objets ou gagner de l’argent, comme dans la vie réelle. Mais cela ressemblera-t-il vraiment à ce que nous connaissons aujourd’hui ? François-Gabriel Roussel, chercheur à l’université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle et spécialiste du virtuel numérique, nous explique que « contrairement à la réunion dite virtuelle sur Zoom, ce monde numérique continue d’exister et d’évoluer quand vous n’y êtes pas ». Bluffant n’est-ce pas ?
Aujourd’hui omniprésent dans les stratégies de développement des plus grandes firmes, ce nouveau phénomène s’observe essentiellement auprès des acteurs des jeux vidéo. Parmi eux, la plateforme The Sandbox demeure un véritable pionnier en termes de Métavers et de Web3. Basé sur la blockchain Ethereum, le jeu décentralisé permet à ses utilisateurs d’accéder à un monde totalement virtuel où ils ont la possibilité de jouer et de créer des univers en 3D, tout en participant à l’émergence des NFT sur la plateforme.
Avec une levée de fond de 93 millions de dollars en novembre 2021, la firme surnommée « le bac à sable 3.0 » dispose néanmoins d’une féroce concurrence face à elle : Roblox, Epic Games, OVR, Microsoft ou encore Disney sont d’ores et déjà fortement imprégnés de Métavers dans leurs activités. Mais la parfaite illustration de ces derniers mois est à voir du côté de l’empire dirigé par Mark Zuckerberg et son rebranding annonçant la couleur de ses ambitions : en devenant Meta fin 2021, le premier réseau social du monde a dévoilé ses intentions de profondément transformer Internet et ses modes de sociabilisation, en gardant toujours en tête l’idée de réunir ses utilisateurs autour d’un même univers, cette fois-ci 100% virtuel, accessible simplement depuis un smartphone ou un ordinateur.

Outre la sphère des jeux vidéo et des réseaux sociaux, les projets liés au Web3 et son principe de décentralisation numérique affectent l’ensemble de notre vie sociale, jusque dans des domaines propres à la culture et à la propriété intellectuelle. Si le phénomène du streaming audio n’a fait que s’amplifier au cours des dernières années dans l’industrie musicale, les promesses d’un monde virtuel laissent de nombreuses opportunités en termes d’évolutions. L’essor des NFT alimentés par les cryptomonnaies laisse le champ à une ré-expérience de la musique, qu’elle soit échangée à l’aide de jetons dans le Métavers ou bien même expérimentée lors d’un concert à travers un casque VR. Le label Warner Music Group a d’ailleurs annoncé fin janvier vouloir créer un parc d’attraction musical dans le Métavers de Sandbox. Quelques semaines après, le rappeur américain Snoop Dogg lançait une collection de 10 000 NFT personnalisés et jouables dans le Sandbox, où les chanceux pourront notamment assister à des concerts, accomplir des quêtes, ou encore passer du temps avec leurs amis dans le Métavers.
Encore des « Web3-sceptiques »
Si tous les secteurs s’intéressent de près ou de loin aux technologies prônées par le Web3, certains aspects de cette révolution d’Internet demeurent en suspens.
Tous les géants de la Big Tech ne se sont pas rués sur les espoirs de cette révolution : Google, qui n’adhère pas aux cryptomonnaies pour ses services, n’a pour le moment aucune raison de se lancer dans l’aventure comme ont pu déjà le faire le reste des GAFAM. C’est également le cas pour Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, qui s’est montré particulièrement virulent à l’encontre de cette version décentralisée du Web qui selon lui « concentrera le pouvoir aux mains de certaines personnes ou groupes en charge des investissements » et ne sera, au contraire, pas détenu par les internautes.

Faisant partie des plus méfiants, Elon Musk s’est aussi illustré dernièrement en qualifiant l’innovation digitale de « mot marketing à la mode ». Le patron de Tesla et SpaceX, fidèle habitué de posts engagés sur Twitter, ne perçoit pas d’intérêts pour le Métavers et juge l’expérience décevante pour ses utilisateurs.
Sur un point plus technique, les nombreuses portes d’entrée vers le Web3 nécessitent de se familiariser avec de nouveaux outils technologiques. Cryptomonnaies, NFT, DAO… autant de termes encore méconnus chez de nombreux acteurs qui s’avèrent devenir des obstacles. De plus, si l’on en croit les promesses du Web3 de redonner un certain pouvoir à l’utilisateur sur ses données, des enjeux sociaux sont souvent pointés du doigt par les plus hostiles à cette nouvelle ère d’Internet : « Qui dit décentralisation dit plus d’autonomie des individus et de responsabilisation. Il n’est pas certain que tous aient envie d’assumer la responsabilité de sécuriser leurs actifs », souligne Claire Balva, directrice blockchain et cryptos chez KPMG France.
Entre partisans et sceptiques, le Web3 n’a pas fini d’animer les débats dans la Silicon Valley. Comme pour les deux premières générations, cette nouvelle phase d’Internet connaît de nombreux freins à son développement mais ne cesse de nous épater de jour en jour. Le nombre ahurissant de projets mêlant Métavers et NFT garantit des évolutions numériques majeures dans nos vies. Conscient de l’emprise des GAFAM sur nos données et nos modes de consommation, Gavin Wood s’est saisi d’une question fondamentale à l’heure où ces multinationales sont reprises à tour de rôle sur leurs pratiques par les gouvernements. Reste à savoir si les engagements du Web3 en matière d’autonomie et de transparence seront respectés dans un univers parallèle pour l’instant dépourvu de toute législation.
