Le twerk du web, Tendances

Le twerk du web #7 – Podcast, bientôt la crise d’adolescence ?

Le web est en mouvement, se déhanche, danse entre les pages et shake les réseaux sociaux ; et de toute cette agitation naissent des tendances qu’Alchimia vous propose d’analyser chaque mois… entre un twist et un jerk donc !   

 

Le podcast est à la fois un média ancien et très moderne, c’est bien là tout son paradoxe ! Au sens propre du terme, le podcast est une émission de radio ou de télévision que l’on peut télécharger depuis Internet vers un player. Au sens large, le podcast est un peu comme le petit-fils de la radio ! Mais, contrairement à son grand-père qui pare ses ondes d’éphémère et d’instantané, le podcast laisse son empreinte dans le temps et permet une écoute découpée, personnalisée, voire répétée…

Ce format audio est popularisé en 2008 par Itunes qui intègre l’application « Podcast » en natif sur l’ensemble de ses appareils. Ce format audio particulier peut alors être décliné sous des formes multiples et originales, adapté à des cibles diverses et permet de capter une attention de plus en plus frivole voire même, chez certains, de créer une addiction que l’on croyait réservée aux séries!

Néanmoins, le podcast reste cet adolescent boutonneux qui n’a pas encore atteint un degré de maturité suffisant pour déchaîner les passions des annonceurs et se rouler sous les liasses sponsorisées. En France, il est encore ce mal-aimé que l’on a testé puis abandonné au profit de sa sœur ainée, la (reine) vidéo. Aux Etats-Unis, en revanche, il fait des merveilles et a réussi à conquérir les oreilles des « citizens » ! Alors, le vilain petit canard se transformera-t-il enfin en cygne au pays des Lumières ?

SuccUS story !

De l’autre côté de l’Atlantique,les podcasts totalisent 46 millions d’auditeurs uniques par mois, soit environ 14% d’oreilles américaines qui s’enjaillent sur des émissions aussi originales, qu’instructives ou drôles. Le marché du podcast attire donc de plus en plus d’annonceurs et autres agences médias puisque le « brand content » est devenu la star de la communication et que le podcast en est une branche exploitable. On peut sans doute dater le début de cette effervescence communicative à la sortie de « Serial » en 2014 ; le scénar ? Une affaire criminelle à la recherche de la vérité autour d’un meurtre. Des épisodes coproduits et narrés par la journaliste Sarah Koenig qui séduisent bien vite le public. En un mois, la série audio sera téléchargée plus de 5 millions de fois et reste encore, à ce jour, la croissance la plus rapide de l’histoire des téléchargements sur Itunes. Prends ça Despacito !

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©  Madmoizelle

Après cette success story, on aurait pu croire que la mode « podcast » allait progressivement s’essouffler mais il n’en fut rien puisque la tendance s’est encore amplifiée entre 2015 et 2016 !  En effet, selon une étude d’Edison Research datant de mai 2016, environ 55% des Américains sont familiers du terme « podcasting » et 21% d’entre eux sont considérés comme des « auditeurs mensuels actifs ». Drôle d’essoufflement… Dans le sillon de la sortie de « Serial » sont nées plusieurs start-ups entièrement dédiées aux podcasts telles que « Radioptopia » ou encore « Gimlet Media » pour ne citer qu’elles… Depuis lors, de nouvelles sociétés de podcasts et de nouvelles émissions ne cessent de s’implanter avec succès. Le média « Slate », par exemple, qui produisait déjà des podcasts depuis un certain temps, a lancé sa plateforme de podcasts début 2015 ce qui a généré un mouvement global de l’écosystème médiatique ; il fut alors rejoint entre autre par – excusez du peu ! – le New York Timesqui a lancé « Modern Love » ou encore Buzz Feed qui possède également sa propre chaîne… Outre Atlantique, les podcasts sont donc devenus des contenus rois à tel point qu’Hillary Clinton ou encore Barack Obama ont accordé des interviews à des podcasteurs, eux-mêmes devenus de véritables célébrités médiatiques !

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©  Slate 

Quels modèles de monétisation ?

Le portrait-robot des auditeurs de podcasts montre qu’ils sont bien souvent urbains, « éduqués » et ont entre 25 et 49 ans. En outre, ils sont également des utilisateurs confirmés des réseaux sociaux et du mobile, soit des qualités évidentes pour n’importe quel annonceur ! Or, le caractère très spécifique des podcasts ne permet pas une monétisation classique en « midroll » et « preroll ».

Deux solutions semblent émerger pour monétiser ces podcasts ; le sponsoring, tout d’abord, où l’annonceur va acheter une présence de sa marque sur une série d’émissions dont elle partage les valeurs. Ce moyen permet de créer une proximité entre la marque et l’auditeur via le contenu. Cette valorisation peut aller jusqu’à 50 dollars du CPM (coût pour mille) par émission écoutée.

Autre solution, que certains réseaux de podcasts comme « Panoply » ou encore « Gimlet Media » utilisent concerne le « native advertising » avec l’intégration d’une marque directement dans le contenu des programmes. Cela permet d’adapter la publicité au contenu et de déjouer les adblockers qui menacent l’insertion publicitaire classique.

Dans ces deux types de valorisation, les marques profitent donc de la notoriété de la radio mais aussi de celles du programme et de l’animateur ! Ces deux solutions restent encore assez mineures et l’on ne pourrait clore ce premier état des lieux sans mentionner le fait que la majorité des podcasts et programmes associés américains sont aujourd’hui financés par la générosité des auditeurs via des dons directs ou des campagnes de crowdfunding. Une simple épine passagère… ?

Un blocage français ?

L’audience du podcast en France est aujourd’hui évaluée à plus de 7 millions d’internautes uniques par mois, avec près d’un million de podcasts consommés chaque jour pour 500.000 auditeurs quotidiens. Pas si loin des standards américains finalement…

Aujourd’hui, trois types de podcasts se partagent le marché :

Les programmes qui tiennent plus de la radio de rattrapage mis en ligne par les stations,

Les podcasts « natifs » produits par des sociétés telles que « Binge »,

Les podcasts amateurs créés par des tiers.

Néanmoins, malgré l’apparente diversité des possibilités liées au format audio, des acteurs importants manquent encore à l’appel ; parmi eux, les médias… Ainsi, les quotidiens, hebdos ou mensuels français produisent aujourd’hui très peu de podcasts, contrairement aux Etats-Unis où la plupart des médias traditionnels s’en est emparée et en délivre de manière régulière : New York Times, The Guardian, The Financial Times, The Economist…

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©  The guardian 

Chez nous, très peu de médias ont fait le pari de l’audio et, ceux qui l’ont osé par le passé se sont souvent rétractés, faute de débouchés financiers ; à ce titre, Libération fait presque figure d’exception avec son offre divisée en deux podcasts : « 56Kast » et « Silence on joue » ! Logiquement, la plupart des médias français se sont tournés vers la vidéo, format « à la mode », rapidement et facilement diffusable et qui génère un engagement certain. L’exemple le plus parlant est sans doute celui de « Télérama » qui, auparavant, produisait des podcasts dans une série intitulé « Sérierama ». Aujourd’hui, cette série existe toujours mais sous forme de vidéos ! Une rétractation qui a plusieurs raisons identifiées : un modèle économique en panne là où la vidéo est rapidement devenue la coqueluche des annonceurs, le manque d’une plateforme centrale type Youtube dédiée aux supports audios qui entraîne un déplacement des coûts de la production à la diffusion et amoindrit donc l’avantage concurrentiel du format audio, peu coûteux à produire, par rapport au format vidéo.

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©  Libération 

D’autre part, dans une société marquée au fer rouge par la révolution big data, l’autre contrainte majeure que le format audio devra surmonter est sans doute celle de la data… Contrairement aux audiences vidéo qui sont bien souvent des mines d’or en termes de données sur les usagers, le podcast ne génère à ce jour que très peu de ces précieuses informations. Ainsi, sans données précises et multiples à propos du nombre de téléchargements, des informations socio-professionnelles ou culturelles, voire même de géolocalisation, il est compliqué de vendre de l’espace publicitaire aux annonceurs et encore plus de trouver des partenaires ! Ajoutez à cela une relative faiblesse des plateformes dédiées aux supports audio – Soundcloud demeurant encore très fragile pour de multiples raisons, notamment économiques – et vous aurez les raisons globales du relatif désamour français pour les podcasts. Spotify a bien lancé « Spotlight » en janvier 2018 mais c’est encore insuffisant ; non seulement notre adolescent coûte de l’argent mais il est caché dans son coin, à l’ombre de la « vidéo-star » et ne sait pas où se mettre !

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©  InaGlobal 

Podcast, un jour, podcast toujours ?

Malgré cette tardive crise d’adolescence, il reste encore des raisons de croire que l’ado deviendra bientôt adulte. En France, le podcast est surtout perçu comme un outil de fidélisation auprès d’un public; il n’est pas encore devenu un enjeu commercial à part entière alors que ce format pourrait représenter une valeur ajoutée importante… En effet, le podcast est un moyen simple et efficace de délivrer une information et il est à la portée de chaque personne un minimum débrouillarde, munie d’un smartphone et d’une bonne dose de créativité.  En outre, contrairement à une émission radio, le podcast natif peut cibler une communauté bien précise, sans être influencé par la dictature de l’audimat ! Facile à produire, le podcast n’est pas sujet aux contraintes de la station radio (positionnement, ton) et il peut donc aborder des sujets comme le sexe ou la drogue par exemple. A ce titre, qu’on se le dise, le podcast offre une vraie liberté éditoriale !

Par ailleurs, les podcasts sont une manière plus reposante de s’informer par rapport à la frénésie du web : ils ont le pouvoir de vous immerger dans un autre monde et de vous faire évader du quotidien; l’aspect sonore et le caractère particulier de la narration engage également une concentration bien plus grande chez l’auditeur que les 9 secondes d’attention dédiées aux vidéos qui pullulent dans le gigantesque et constant zapping du web. Consommer un podcast, c’est avant tout faire la démarche de le choisir, de l’écouter avec attention et de faire travailler son imagination sans que l’information soit formalisée visuellement. En cela, le podcast est donc bien plus moderne que les formats visuels et, bien que l’engagement soit moindre visiblement, il n’en demeure que plus réel car résultat d’un choix conscient effectué par l’auditeur, là où les vidéos se lancent pas dizaines sur son wall Facebook.

Dernier argument non négligeable en sa faveur, le podcast est un format de communication qui coûte moins cher à la production que la vidéo. Nous l’avons vu précédemment, cet argument doit aujourd’hui être nuancé en raison des coûts de diffusion bien plus importants mais aussi de la qualité de ce dernier. Un podcast bien réalisé demande du temps, la création d’un scénario, de l’animation, un ton, une qualité d’enregistrement qui ont également un certain coût. Globalement moindre que la vidéo néanmoins…

Marques et médias : à vous de jouer !

Il paraît évident, pour plusieurs raisons, que notre adolescent timide finira par s’imposer dans le paysage de la production de contenus ; les arguments en sa faveur sont nombreux et, bien que les freins à son développement soient encore aujourd’hui trop puissants, il ne faut pas exclure l’idée qu’une étincelle comme celle de « Serial » ne déclenche une gigantesque profusion de ces contenus captivants.

Les médias semblent, à certaines exceptions près, ne pas vouloir – ou ne pas pouvoir ? – s’approprier ce format malaimé. Les influenceurs tels Alban Jarry ou Ludo SLN commencent à peine se lancer…  Ne serait-il pas judicieux que la fameuse étincelle vienne alors d’une marque qui lui offrirait une belle place dans sa stratégie de contenus? Alors que Google et Amazon se livrent une guerre sans merci pour imposer leurs assistants vocaux dans les foyers des français, il pourrait être de bon ton d’être le premier à frotter le silex ! A bon entendeur…