Suite à une enquête exclusive diffusée sur France 2 et l’enquête du CNM (centre National de la Musique), l’industrie musicale fait aujourd’hui face à une réalité frauduleuse …
Véritable pilier économique de l’industrie musicale, le streaming représente aujourd’hui 65% des revenus de la musique soit la rondelette somme de 16,9 milliards de dollars générés en 2021, selon de le rapport 2022 de la fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI).
Dans son rapport annuel, le MIDiA révèle qu’il y avait 616,6 millions d’abonnés aux plateformes musicales à travers le monde, dont 22 millions d’abonnés en France. Autant dire que cette industrie pèse « dans le game » !
Ces plateformes intègrent de nombreux genres et styles musicaux et proposent ainsi, de manière gratuite ou payante à leurs abonnés, d’accéder à de nombreux catalogues musicaux. La question de la rémunération des artistes à travers ces plateformes pose cependant, depuis plusieurs années, de nombreuses questions et suscite aujourd’hui une forte polémique.
En effet, le modèle de rémunération des artistes à travers les plateformes reste très opaque. La rémunération des artistes étant lié au nombre de streams par les abonnés, l’étude commandée par le CNM révèle une nouvelle frappante : près de 1 à 3% des écoutes sont des écoutes artificiellement gonflées, soit entre 1 à 3 milliards de streams en 2021 selon le Monde. Cette pratique déloyale favorise ainsi les écoutes et donc, la rémunération d’artistes au détriment de ceux qui ne trichent. Cette supercherie remet également en cause le système de rémunération de toute l’industrie musicale au travers des plateformes de streaming. En effet, les abonnements financent les plateformes qui reversent ensuite l’argent aux artistes en fonction de leur part de marché.
Cependant les pourcentages affichés par l’étude sont en réalité le pourcentage minimum de fraude : en effet, seules les plateformes Spotify, Deezer et Qobuz ont accepté de jouer le jeu tandis qu’Apple Music, Amazon Music et YouTube n’ont pas coopéré à date. Autant dire que les plateformes jouent parfois le jeu des tricheurs …
Mais concrètement, comment fait-on gonfler des écoutes ?
Rien de plus simple en réalité ! Dans son enquête, France 2 a ainsi révélé les dessous de cette fraude à travers un site internet qui propose d’acheter de fausses écoutes « Sur un site testé par France 2, les 1.000 streams coûtent 7 euros. Pour un million de fausses écoutes, il faut débourser 2.950 euros. Ces sites font même une fausse répartition des écoutes par pays. Via un ordinateur, les commandes sont envoyées à des centaines de millions de comptes piratés. La même musique est jouée en boucle, sans que les détenteurs de ces comptes s’en aperçoivent. »
Mais le plus surprenant dans cette pratique est qu’elle soit parfaitement connue, voire entretenue par les professionnels de la musique. Le reportage rapporte ainsi les propos d’un attaché de presse d’un label qui explique « Dans mes artistes, il y en a qui le font (acheter des streams, ndlr), mais ils ne le disent pas, je ne veux pas le savoir ». Le nombre d’écoutes permet ainsi de valoriser un titre et, plus il y a d’écoutes plus l’artiste connaît le succès. Véritable enjeu marketing pour les professionnels et les artistes, la course aux streams a rapidement pris de l’ampleur et la concurrence fait rage entre les acteurs de la musique. C’est ainsi que les Victoires de la Musique 2022 ont d’ailleurs annoncé l’arrivée d’une nouvelle catégorie intitulée « titre le plus streamé » de l’année. Avec la publication de l’étude sur les faux streams en ce début d’année, nul doute que les récompenses attribuées aux artistes les plus « streamés » risquent de faire parler …
En décembre 2022, le rappeur Lorenzo avait également trouvé une astuce en vue de faire gonfler le nombre d’écoutes de son nouvel album. En effet, à partir de 31 secondes d’écoutes, les plateformes comptabilisent un stream. Fort de cette information, le rappeur avait découpé les 16 titres de son album en 68 morceaux de 31 secondes chacun, lui rapportant alors 5 streams à la place d’un seul. Les morceaux ont depuis repris leurs formes orignaux.

Bien qu’aujourd’hui, le « fake stream » concernent toutes les plateformes et tous les genres de musique, l’étude révèle que le plus fort taux de tricherie est issu du milieu du rap, le genre le plus écouté sur les plateformes de streaming. Selon le rapport du CNM, le rap représente 84,5% des streams frauduleux détectés et 27,7% chez Deezer. Cependant, sur l’ensemble des écoutes proposées par les plateformes, les streams frauduleux ne représentent que 0,4% sur Spotify et 0,7% sur Deezer. Mais la fraude concerne également d’autres genres de musique tels que les musique d’ambiance (par exemple 4,8% sur Deezer).
La mise en lumière de la face sombre des plateformes de streaming alerte ainsi quant à la qualité et la juste rémunération des artistes et des acteurs de la musique. En France, la SACEM, dont les intérêts sont directement visés par cette pratique déloyale, a déjà porté plainte à deux reprises pour escroquerie et certaines plateformes ont déjà pris des mesures pour faire face à ce problème : Deezer a mis en place une équipe de 15 personnes qui travaillent en permanence à lutter contre cette fraude.
Affaire à suivre …