Faites-vous partis de ceux qui pensent que le modèle du streaming vidéo a atteint ses limites ? Ou bien pensez-vous au contraire que son évolution ne fait que commencer et qu’il continuera à nous bluffer ? Depuis la chute en bourse de son pionnier historique Netflix le mois dernier, de nombreux débats agitent la toile quant à l’avenir du SVoD.
Tout s’est emballé le 19 avril dernier lorsque le géant du streaming annonçait avoir perdu 200 000 abonnés au premier trimestre 2022, observant en conséquence une chute boursière inédite de 35%. Projetant de voir 2 millions de clients supplémentaires quitter sa plateforme d’ici l’été 2022, Netflix connaît son plus gros revers depuis son entrée au Nasdaq en 2002. Pire encore, l’entreprise fondée par Reed Hastings est depuis le début du mois de mai poursuivie en justice par certains actionnaires qui accusent la plateforme d’avoir dissimulé les chiffres concernant la perte d’abonnés.
« Effet post-confinement »
Comment expliquer une telle baisse de régime ? De nombreux experts des médias et du numérique évoquent « l’effet post-confinement ». En effet, les années 2020 et 2021 ont été très bénéfiques pour toutes les plateformes de streaming, les différents confinements ayant considérablement modifiés nos habitudes de consommation. Le bond des abonnements SVoD semble aujourd’hui passé jusqu’à constater un nouveau phénomène dans les pratiques des utilisateurs : celui des abonnements éphémères où les usagers, moins dépendants aujourd’hui envers une seule plateforme, vont et viennent sur les multiples supports qui s’offrent à eux au gré des programmes et des offres attractives.
Une concurrence directe… et indirecte

Car Netflix est loin d’être la seule offre sur le marché du streaming vidéo. Jonathan Knee, professeur à la Columbia University Business School, recense « une demi-douzaine de concurrents majeurs » au leader de la SVoD. Estimant que tous perdent beaucoup d’argent à travers leur activité, le spécialiste américain des médias pensent néanmoins que certaines plateformes « comme Apple ou Amazon peuvent se permettre d’en perdre pendant longtemps », notamment parce que leur service de streaming respectif ne représente qu’une infime partie de leurs revenus.
Au-delà d’une concurrence directe qui ne fait que s’accentuer au fil des années, les supports de streaming doivent aussi faire face à de nouveaux acteurs de la tech, à commencer par l’application la plus téléchargée au monde en 2021 : TikTok. Avec son format de vidéos courtes, la plateforme chinoise séduit des centaines de millions d’utilisateurs adeptes de contenus innovants et ludiques, démocratisant un peu plus les applications de « live streaming ». Twitch, propriété d’Amazon, s’inscrit également dans l’essor de ces nouvelles consommations, où vont aussi bien cohabiter des parties de jeux vidéo en live que des débats en présence de personnalités politiques.
Des nouvelles habitudes de consommation à la profusion de nouvelles plateformes, le marché du streaming subit depuis quelques années des rebondissements. Parmi eux, l’essor de services de streaming vidéo gratuits ou AVoD (Advertising Video on Demand) représente une alternative aux plateformes traditionnelles. Financés en partie par la publicité, des services comme Disney+ et Hulu aux États-Unis ou bien même MyTF1 en France ont fait le pari de l’AVoD afin de cibler un large panel de publics. Si ce système ne substitue pas totalement la SVoD, il offre à coup sûr une passerelle intéressante pour les adeptes de streaming et confirme l’évolution de son modèle vers de nouveaux horizons.
La publicité comme remède inévitable ?
Netflix l’a compris : si son nombre d’abonnés a nettement chuté au début de l’année 2022, le leader du secteur doit repenser son modèle. La publicité apparaît alors comme la principale solution qui s’offre à Netflix et ses homologues, solution longtemps écartée par Reed Hastings. Dès la fin 2022, le géant du streaming prévoit d’intégrer des contenus publicitaires à sa plateforme, ou du moins, proposer une option d’abonnement moins onéreuse financée par la publicité.
Les pratiques des consommateurs évoluant, les divers supports de vidéos à la demande ont pour mission de s’adapter au contexte économique et social. Face à « la fatigue de l’abonnement », l’heure du choix a sonné pour de nombreux foyers aux contraintes budgétaires explique Duncan Stewart, directeur de recherche dans le domaine des télécoms et des médias au cabinet Deloitte. Avec la multiplication des offres de streaming, le nombre d’abonnements par foyer a inévitablement gonflé, laissant place à une certaine lassitude de la part des consommateurs.

Cependant, la publicité ne semble pas nécessairement gage de réussite pour retrouver des abonnés. Une étude formulée par l’agence de publicité britannique LoopMe se montre révélatrice de la consommation vidéo des utilisateurs anglais : un tiers d’entre eux annuleraient leur abonnement Netflix si la publicité venait à apparaître sur la plateforme, sachant que la dimension financière demeure la principale raison de résiliation. Sarah Rew, directrice marketing international de LoopMe, estime que « Netflix doit se concentrer à fournir un contenu pertinent et de qualité, en comprenant comment la publicité de marque pourrait améliorer son offre plutôt que de nuire à l’expérience. »
Se diversifier ou décliner : l’urgence de Netflix
Face à la montée du prix des abonnements et à l’augmentation de l’offre de services sur le marché, les consommateurs s’avèrent de plus en plus enclins à des concessions drastiques dans leurs usages du streaming vidéo. Si le cas de Netflix illustre en partie ce phénomène, c’est bien le modèle du streaming dans sa globalité qui est interrogé aujourd’hui. Julien Pillot, économiste du numérique, pense que la société « assiste à de premiers soubresauts révélateurs d’un problème nettement plus structurel, qui pourrait se résumer à un effet de ciseau, c’est-à -dire une situation où les coûts augmentent plus vite que les revenus ».
La concurrence entre les plateformes SVoD n’est pas égale entre tous les acteurs. Amazon, Apple ou Disney ne disposent pas nécessairement des mêmes cibles et revenus que la firme de Reed Hastings, bien que l’écart en termes d’abonnés tende à se resserrer aujourd’hui.Â
« Là où Netflix est dépassé par ses concurrents, c’est sur le périmètre et la puissance capitalistique. Tous ces acteurs sont donc moins dépendants vis-à -vis de la rentabilité de leur division streaming que ne l’est Netflix dont c’est le cÅ“ur de métier », rappelle Julien Pillot.Â
De cette intense concurrence que se livrent les géants du streaming découle une question fondamentale pour l’avenir de la SVoD : qui verrons-nous remporter cette bataille économique et technologique ? Immanquablement, nous savons déjà que l’ensemble des plateformes devront rapidement faire évoluer leur modèle, au risque de voir partir définitivement bon nombre d’abonnés volatiles. Netflix connaît déjà l’enjeu majeur susceptible de remettre totalement en question son leadership : si ses concurrents décident de placer le streaming vidéo au cÅ“ur de leur stratégie économique, le pionnier de la SVoD tiendra-t-il le rythme ? Ou sera-t-il obligé, comme nombreux consorts de la tech, de céder à un éventuel rachat ? « Au final, ce marché ne supportera que deux ou trois grands acteurs, et il est difficile de croire que Netflix n’en fera pas partie », parie le professeur spécialiste des médias Jonathan Knee. So, let’s « see what’s next »…
