Pouce levé pour

Pouce levé pour… #5 – La taxation des GAFA

Source : LeFigaro

La taxe GAFA : un projet de justice fiscale ?

Une initiative à saluer ! La France tente de faire souffler un vent nouveau dans la complexité de la taxation des multinationales. Dans un souci de justice et d’équité fiscale, le gouvernement français entend taxer les géants du numérique sur leurs chiffres d’affaires Ã  hauteur de 3%. Exit donc le barème progressif de 3% à 7% initialement évoqué.

Ce projet de loi porté par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire devrait, selon les estimations, apporter environ 500 millions d’euros par an aux caisses de l’État français. La taxe GAFA concerne notamment, comme son acronyme l’indique, les mastodontes américains Google, Amazon, Facebook et Apple. Plus largement, c’est l’ensemble des entreprises du secteur numérique dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros à l’échelle mondiale, et atteint les 25 millions d’euros sur le territoire national. 

Le gouvernement pose ainsi les jalons « d’une fiscalité du XXIème siècle ». Au sein de l’Union Européenne, les multinationales du secteur numérique bénéficiaient jusqu’à présent d’avantages considérables puisque étant, en moyenne, deux fois moins imposées que les autres entreprises (en plus de leurs stratégies légales d’optimisation fiscale). Une politique fiscale à géométrie variable qui crée ipso facto de véritables privilèges pour les premières, et des inégalités consternantes pour les secondes. 

Source : BFM TV

Des divergences au sein de l’Europe

La France se retrouve dans la courageuse mais délicate position du cavalier solitaire au sein d’une UE divisée sur la question, pourtant légitime, de la taxation des géants du numérique. La Suède, l’Irlande ou encore le Danemark sont fermement opposés à ce projet, ce qui bloque sa mise en place sur le plan européen. Le Royaume-Uni, quant à lui, veut taxer l’utilisation même des données personnelles. Pour rappel, sur le plan fiscal, l’unanimité des pays membres de l’Union Européenne est indispensable pour qu’un projet de cette ampleur puisse voir le jour. 

Bien qu’en mauvaise posture, Paris ne s’avoue pas vaincue et formule une réponse politique mesurée dans un élan de patience et de compromis, allant jusqu’à repousser l’entrée en vigueur de la loi en 2021. Elle peut ainsi compter sur le soutien indéfectible de Berlin. Les deux acteurs historiques de la construction européenne envisagent plusieurs méthodes pour mieux faire passer la pilule fiscale aux pays européens réticents. Une refonte du projet de loi se limitant aux seuls revenus de la publicité est même avancé. Bien au-delà des positions divergentes sur la question fiscale, c’est un nouvel échec de l’Europe à s’exprimer d’une seule voix.

Les Etats-Unis et l’OCDE favorables

Même si certains pays européens lui tournent le dos, la France reste vent debout. Un acteur de poids soutient l’idée d’une taxe GAFA : l’OCDE. Cette organisation ambitionne de créer une fiscalité internationale. Aujourd’hui, les 127 pays membres se disent donc prêts à endiguer le phénomène des transferts de profits qui permettent d’atteindre un taux d’imposition très faible voire, dans certains cas, nul. Au-delà des conflits européens, les Etats-Unis abondent dans le sens de Paris et exprime une volonté de rebattre les cartes en taxant les entreprises dans les pays où des profits faramineux sont réalisés. L’idée est de précisément contrer le recours à l’optimisation fiscale. Des sommes colossales échappent ainsi aux caisses du Fisc (cf : diagramme ci-dessous).

Source : Lepoint

Freins et limites

Les critiques formulées par les détracteurs de la taxe GAFA sont multiples. Les individus, les États et les entreprises qui y sont opposés pointent du doigt différentes dérives. Ils craignent de voir les investissements des entreprises diminuer par l’instauration d’un climat fiscal instable, la perception d’une cacophonie fiscale européenne, ou encore le risque de voir taxe toucher certaines entreprises françaises. En effet, les acteurs français du e-commerce comme La Redoute ou Le Bon Coin proposent des marketplaces, ce qui pourrait les soumettre à un ce nouvel impôt. D’autres entreprises, comme Cdiscount, accueillent avec enthousiasme ces nouvelles réflexions fiscales nécessaires malgré la crainte d’une double fiscalisation.

Certains économistes défendent la thèse selon laquelle les géants du numérique ne paieraient en réalité pas moins d’impôts que les TPE et PME, un taux d’imposition moyen de 24% depuis 2009.

A l’instar de Manon Aubry (ex porte-parole de l’ONG Oxfam France sur les questions de lutte contre l’évasion fiscale et les inégalités), certains spécialistes voient dans ce projet de taxation un premier pas dans le combat pour l’équité fiscale. Cependant, ils nuancent leur position en insistant sur la somme relativement faible des prélèvements. En effet, l’Etat ne collectera que 500 millions d’euros par an, une goutte d’eau en comparaison aux chiffres d’affaires réalisés sur le sol français par les entreprises visées. Madame Aubry préconise de prendre à bras le corps le problème de la taxation des GAFA. Elle souhaite voir une transparence fiscale complète s’instaurer, sans quoi, les opérations d’optimisation fiscale continueront de s’appliquer. Le risque est de rendre la taxation GAFA comme une solution uniquement partielle à l’épineux problème sous-jacent de la transparence fiscale.

Notons que Â«Â le montant déjà acquitté par les entreprises sera déductible du résultat comptable sur lequel est calculé l’IS » précise Bruno Lemaire. Une trentaine d’entreprises étrangères (allemandes, chinoises, américaines, britanniques, espagnoles) et une entreprise française Criteo (spécialisée dans le marketing personnalisé) sont concernées par cette loi. En l’espèce, ces marketplaces tirent des revenus de la publicité en ligne et de l’exploitation des données personnelles.

Source : Liberation

Au-delà des considérations pécuniaires, il y a fort à parier que les géants du numérique n’abdiqueront pas aussi facilement face à la taxe GAFA et aux coûts fiscaux qu’ils auront à supporter. Apple va sans nul doute activer ses lobbies pour tenter d’influencer les décideurs clefs. Véritable art au pays de l’Oncle Sam, le lobbying est une activité ouvertement pratiquée et contrôlée. Le budget d’Apple alloué aux stratégies d’influence est forte croissance : lors du 3ème trimestre 2017, 1.86 milliards de dollars ont été dépensés, soit une hausse fulgurante de 74%. Google, par l’intermédiaire de sa maison mère Alphabet, a dépensé près de 21 millions de dollars dans ses activités de lobbying pour l’année 2018.

Le calendrier de la mise en place de cette taxe rétroactive n’est pour le moment toujours pas connu. Le gouvernement a présenté début mars un projet de taxe, il sera soumis au vote de l’Assemblée Nationale cet été qui, en attendant, apporte ses modifications au projet. Affaire à suivre donc…