TikTok a dépassé le milliard d’utilisateurs en 2022 ! Ce qui n’était au départ qu’une application de challenge de danses est aujourd’hui devenue un révélateur de talents musicaux et d’influenceurs puissant. Cependant, le réseau social présente un risque croissant chez les jeunes qui pourrait mettre à mal sa popularité.
Des troubles neurologiques liés à une utilisation massive
Des chercheurs de l’Université de Floride ont récemment démontré une recrudescence de tics nerveux chez les jeunes âgés de 11 à 21 ans qui utilisent TikTok. Une étude menée sur des adolescents a révélé que, sur une échelle de 0 à 6, la gravité de leurs tics atteignait 4 ou 5. Selon le Wall Street Journal, « les médecins continuent de voir un nombre disproportionné de jeunes souffrant de tics depuis plusieurs mois ». Un neurologue américain affirme ainsi que dans son hôpital, un enfant sur huit venu aux urgences en 2021 a montré des signes de tics compulsifs, contre moins d’un sur 50 en 2019.
Une étude publiée dans une revue australienne traitant des troubles pédiatriques, parue le 5 mars 2022, établie un lien entre ces tics et la présence de troubles psychiatriques non diagnostiqués, de l’automutilation ou encore de l’échec scolaire. Elle pointe également du doigt l’influence non-négligeable des réseaux sociaux et en particulier de TikTok.
Une coalition de huit États américains, dont la Californie et la Floride, a lancé une enquête en mars 2022, accusant l’application de causer du tort aux enfants en les incitant à y passer toujours plus de temps. « Nous savons que cela a des effets dévastateurs sur la santé mentale et le bien-être des enfants. Mais nous ne savons pas ce que les entreprises elles-mêmes [comme TikTok] savaient et depuis quand », a déclaré Rob Bonta, le procureur général californien dans un communiqué. Les magistrats veulent examiner les « techniques utilisées par TikTok pour encourager les jeunes » à y passer plus de temps, à réagir aux contenus et interagir avec les créateurs, ont-ils indiqué dans un communiqué publié aussi par le Vermont, le Tennessee et le Nebraska, entre autres.
Comme le note le Wall Street Journal, les médecins indiquent que l’influence de TikTok sur le développement de ces tics n’est pas une première. Les réseaux sociaux sont régulièrement accusés d’accentuer les problèmes psychologiques des jeunes publics, par exemple chez les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. Ils font par ailleurs l’objet d’auditions devant le Congrès américain à ce sujet. TikTok a toutefois entrepris, dans certains cas, de proposer de l’aide à ceux qui feraient des recherches sur certains sujets tels que le suicide ou l’anorexie mentale. Pour cela, le réseau social les dirige vers des pages officielles proposant de la documentation ainsi qu’un soutien.
En octobre 2021, une précédente étude avait accusé le réseau social de favoriser le développement du syndrome de Gilles de la Tourette. Cette appellation désigne une maladie neurologique qui se traduit par certains tics soudains et non maîtrisés. Ceux-ci peuvent se caractériser par des gestes (comme des mouvements brusques ou des spasmes) ou des sons incontrôlés. En août, une étude canadienne a été menée à ce sujet par des neurologues de l’Université de Calgary. « Depuis le début de la pandémie, nos collègues travaillant dans huit cliniques différentes du syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) dans le monde ont été témoins d’une pandémie parallèle de jeunes âgés de 12 à 25 ans (presque exclusivement de sexe féminin) présentant l’apparition rapide de comportements complexes de type tic moteur et vocal. (…) En plus de subir le stress et l’anxiété liés au Covid, ces jeunes filles ont été davantage exposées à des influenceurs présentant des tics ou le syndrome Gilles de la Tourette, ce qui aurait visiblement eu un impact sur elles-mêmes », détaille le neurologue Davide Martino. Le médecin explique donc en partie ce phénomène par la place prépondérante prise par les réseaux sociaux pendant la crise sanitaire, en particulier par TikTok qui a explosé au même moment.
D’ailleurs, plusieurs personnes atteintes du syndrome de Gilles de la Tourette ont posté des vidéos sur ce réseau social, rassemblées sous le hashtag #TicTok. Ce hashtag est très populaire sur la plateforme depuis le début de la pandémie, exposant ainsi de nombreuses personnes à cette problématique et, visiblement, déclenchant par la même occasion les premiers symptômes. Certaines personnalités des réseaux sociaux atteintes de cette maladie sont très influentes, à l’image d’Evie Meg, une jeune américaine connue sous le pseudo « thistrippyhippie », suivie par 14.2 millions de personnes. Sa popularité, qui a rapidement bondi sur TikTok, semble avoir fait gagner en visibilité la maladie. Le nombre de visionnages de vidéos étiquetées par le mot-clé #tourettes a augmenté de près d’un milliard depuis octobre 2021, période à laquelle les premières alertes des médecins ont fusé. Ce 31 mars, il cumule 5.7 milliards de vues.

À l’heure actuelle, on ne sait pas pourquoi les femmes sont plus touchées que les hommes. Précisons toutefois que la majorité des patientes présentaient déjà des signes d’anxiété avant que la maladie ne se déclare.
Des défis de plus en plus dangereux
Le Labello Challenge, ou le défi qui pousse au suicide.
Si beaucoup de Tiktokeurs se servent de la plateforme pour reproduire certaines danses populaires, s’essayer comme acteur en jouant leur scène de film préférée ou partager leur meilleur look, certaines tendances s’avèrent beaucoup plus malsaines, voire dangereuses.
Depuis quelques semaines, un nouveau challenge devient de plus en plus inquiétant : le #ChapstickChallenge ou en français, le #JeuDuLabello ou #LabelloChallenge. Si initialement, il s’agissait de se filmer en train de s’embrasser et de deviner le parfum du stick à lèvres que l’autre avait enduit sur ses lèvres, ce jeu a aujourd’hui incontestablement dévié. Dorénavant, le but est tout autre : les utilisateurs sont encouragés à appliquer du baume à lèvres tous les jours, ou à en couper un bout à chaque fois qu’ils se sentent tristes. Lorsque qu’ils arrivent au bout du tube, ils doivent alors mettre fin à leurs jours. Face à la gravité de ce défi, des centaines d’utilisateurs ont utilisé le hashtag du défi pour faire de la prévention concernant ce phénomène. #jeudulabello comptabilise déjà plus de 600 000 vues. Pour Emmanuel de Becker, pédopsychiatre aux Cliniques universitaires Saint-Luc, les adolescents sont très enclins à ce type de comportement, car ils ressentent l’envie d’appartenir à un groupe dans un moment de leur vie propice aux changements.
Aucune victime ne serait à déplorer pour l’instant, mais les leçons du passé invitent à se montrer prudent. En 2021, deux jeunes gens sont décédés en participant au jeu du foulard. En Italie, une enfant de 10 ans avait été retrouvée morte dans sa salle de bains, une ceinture enserrant son cou ; l’autre décès était à déplorer aux Etats-Unis.
Le Blackout Challenge, un défi mortel
Ce n’est pas la première fois que de dangereux challenges circulent sur le média chinois. Le Black-out Challenge, devenu viral en 2021, consistait à se filmer tout en retenant sa respiration le plus longtemps possible, conduisant parfois les adolescents à s’évanouir et provoquer alors un « black-out ». Ces drames ont même poussé l’Italie à bloquer l’accès à TikTok aux utilisateurs ne pouvant prouver leur âge, les autorités ayant imposé un minimum requis pour utiliser l’application.
Nyla Anderson, une petite fille de dix ans résidant aux Etats-Unis, a perdu la vie en réalisant ce défi TikTok. « Elle se trouvait dans sa propre chambre de sa maison, avec sa famille à la maison. Mais personne n’était dans la chambre avec elle quand cela s’est produit. Donc il n’y avait personne pour la sauver », aurait expliqué l’hôpital au sujet de sa mort, selon MCE. La mère endeuillée avait tenu à sensibiliser les parents des enfants qui utilisent TikTok après ce drame.

Des challenges, mais pas que…
Nyla Anderson n’est pas la seule à avoir perdu la vie en tentant d’épater ses abonnés. Début 2021, Xiao Qiumei avait également filmé sa mort en direct sur TikTok. Cette dernière ne participait pas à un défi quelconque. Bien pire encore, sa spécialité était d’escalader des bâtiments, en risquant sa vie tous les jours. Malheureusement, la jeune femme est tombée d’une grue de 40 mètres et ne s’est jamais relevée.
Autre exemple et pas des moindres : celui de Sofia Cheun. Cette influenceuse est décédée récemment, en tombant d’une falaise. Que faisait-elle ? Un selfie pour son compte Instagram ! Ainsi, elle aurait trop reculé jusqu’à basculer dans le vide.
Dernier exemple, dans une lettre adressée au journal britannique The Telegraph, les parents d’une petite fille souffrant de difficultés d’apprentissage racontent leur mésaventure. La mère de la fillette lui a laissé son smartphone. Cette dernière s’est rendue sur TikTok où un utilisateur l’a convaincu de lui donner plus de 2.000 livres (soit 2.300 euros) en monnaie virtuelle à travers 23 micros-transactions. Des paiements qui ne sont apparus que bien plus tard aux yeux des parents, en recevant la note particulièrement élevée. Ces derniers ont alors tenté de contacter le géant Chinois dans le but d’être remboursé, sans succès.

Les écrans, comme les réseaux sociaux, peuvent pousser les jeunes à agir inconsciemment. Il est donc très important de les éduquer et de les sensibiliser aux potentiels dangers. Toutefois, cela suffit-il ?
En novembre 2021, TikTok avait publié un rapport sur l’impact des challenges dangereux sur la plateforme. Au terme de ces recherches, qui ont duré plusieurs mois, l’application affirme que 48% des adolescents interrogés considèrent que les challenges auxquels ils ont récemment été exposés sont amusants et légers. 32% d’entre eux considèrent qu’il y a des risques, mais se sentent tout de même en sécurité. 17% pensent que ces challenges sont risqués et dangereux, et 3% les estiment très dangereux.
Mais l’application s’est également intéressée à l’impact de certains contenus sur la santé mentale de ses utilisateurs. Certains challenges, à l’image du Momo challenge, qui avait poussé au moins un adolescent au suicide, ou encore du Blue Whale Challenge, sont directement liés à la mort, à l’automutilation et au suicide. Et, pour 31% des jeunes ayant été confrontés à des contenus similaires, l’impact sur leur vie s’est révélé négatif. 63% d’entre eux affirment que cet impact s’est fait ressentir sur leur santé mentale. Pour pallier ces problèmes, TikTok avait annoncé dans ce même rapport une mise à jour de son Centre de sécurité, avec une section entièrement dédiée aux challenges. Cela sera-t-il suffisant, au regard des dangers que le Labello Challenge a récemment soulevé ?
TikTok va-t-il poursuivre son ascension fulgurante en dépit de ses dérives de plus en plus visibles ? Ou va-t-il au contraire devoir sérieusement remettre en question sa politique de sécurité ?